« La descendance est cette flèche que nous décochons vers un avenir que nous ne verrons jamais, ce pari fou sur l’éternité lancé depuis notre finitude. C’est l’arrogance de l’ADN qui se joue de la mort, la revanche de la chair sur le néant. Nos enfants sont les explorateurs d’un monde que nous ne foulerons pas, les antiquaires de nos rêves enfouis, les magiciens qui transformeront nos espoirs en leur réalité. Engendrer, c’est jeter une bouteille à la mer du temps, avec l’espoir fou qu’un jour, sur une plage inconnue, quelqu’un ouvrira ce message et y trouvera un peu de nous-mêmes, un écho de nos rires, l’ombre de nos doutes, la trace de nos pas sur le sable mouvant de l’existence.«
Dans le silence assourdissant d’une nuit étoilée, loin des lumières de la civilisation, j’ai contemplé cette réalité vertigineuse : notre descendance est la plus audacieuse des explorations, une expédition vers un continent que nous ne foulerons jamais.
Engendrer, quelle folie ! Quelle prétention ! Nous voilà, êtres éphémères, jetant notre ADN comme un défi à la faucheuse, tel un alpiniste plantant son drapeau sur un sommet inviolé. Nos enfants, ces inconnus familiers, portent en eux les cartes d’un monde que nous ne verrons qu’en rêve, un atlas génétique où s’entremêlent nos espoirs et nos cicatrices.
J’ai vu des hommes bâtir des empires de pierre, ériger des monuments défiant la gravité, comme si le granit pouvait leur offrir l’immortalité. Quelle vanité ! La véritable éternité ne se trouve pas dans le marbre des statues, mais dans la chair tendre d’un nouveau-né, dans ce regard encore vierge qui porte en lui la promesse d’horizons inexplorés.
Nos enfants sont les archéologues du futur, fouillant dans les strates de notre héritage pour y déterrer les fossiles de nos ambitions avortées, les vestiges de nos rêves inachevés. Ils sont les alchimistes de l’avenir, capables de distiller l’essence de nos expériences pour en extraire un élixir de sagesse que nous n’aurions jamais pu concevoir. Ils sont les magiciens qui donneront vie aux fantômes de nos « et si » murmuré à la lueur vacillante des feux de camp de nos vies.
Combien de fois, assis au bord d’un précipice, les jambes dans le vide et l’âme en apesanteur, ai-je songé à cette chaîne ininterrompue de vies dont je n’étais qu’un maillon ? Nous sommes les gardiens temporaires d’un flambeau millénaire, passé de main en main depuis la nuit des temps. Nos enfants sont les coureurs qui porteront cette flamme vacillante vers des contrées que nous n’osons même pas imaginer.
La paternité, la maternité, ne sont-elles pas les plus folles des expéditions ? Sans carte, sans boussole, nous nous aventurons dans les terres inconnues de l’amour inconditionnel, bravant les tempêtes de l’inquiétude, les déserts de l’incompréhension, les glaciers de la rébellion adolescente. Et pourtant, nous avançons, portés par cet espoir insensé que quelque part, dans un futur qui nous échappera toujours, une part de nous continuera d’explorer, de rêver, de vivre.
Les véritables médiums, ce sont nos enfants. Dans leurs yeux brillent les étoiles qui guidaient nos aïeux, dans leurs rires résonnent les échos de joies oubliées, dans leurs larmes coulent les rivières de chagrins ancestraux.
Engendrer, c’est lancer une expédition vers l’infini depuis le pont étroit de notre finitude. C’est envoyer des éclaireurs dans un territoire que nous ne pourrons jamais cartographier, des pionniers qui planteront le drapeau de notre lignée sur des terres que nous n’avons même pas rêvées.
Nos descendants sont les traducteurs de notre dialecte émotionnel dans la langue du futur. Ils prendront les mots balbutiés de nos espoirs et les transformeront en poèmes épiques, ils saisiront les esquisses tremblantes de nos ambitions et en feront des fresques majestueuses sur les murs du temps.
Dans le grand livre de l’évolution, chaque naissance est une note de bas de page, un « à suivre » griffonné à la hâte par une nature qui refuse obstinément de mettre un point final à son récit. Nos enfants sont les coauteurs d’une saga dont nous n’écrivons que le prologue, les continuateurs d’une œuvre dont nous ne sommes que les brouillons imparfaits.
J’ai vu des hommes amasser des fortunes, accumuler des trésors, comme si la richesse pouvait les protéger de l’oubli. Quelle illusion ! La véritable postérité ne se mesure pas en lingots d’or, mais en éclats de rire transmis de génération en génération, en gestes d’amour répétés à travers les âges, en regards complices échangés par-delà les siècles.
Avoir une descendance, c’est planter une forêt que l’on ne verra jamais finir de grandir, c’est composer une symphonie libre que l’on n’entendra jamais jouer dans son intégralité. C’est accepter d’être à la fois tout et rien : tout pour cet être qui dépend entièrement de nous, et rien face à l’immensité du temps qu’il incarnera sans nous.
En observant mes propres enfants, j’ai compris que la paternité est la plus humble des aventures. Nous ne sommes pas les sculpteurs de leur destin, mais simplement les carriers qui leur fournissons la pierre brute. À eux de tailler, de polir, de donner forme à cette matière première avec les outils que la vie leur offrira.
La descendance est notre pied de nez à la mort, notre façon de narguer le néant. C’est le pari insensé que quelque chose de nous survivra, que l’écho de nos pensées résonnera encore quand notre voix se sera tue depuis longtemps. Nos enfants sont les bouteilles à la mer que nous lançons sur l’océan du temps, avec l’espoir fou qu’un jour, sur une plage que nous ne connaîtrons jamais, quelqu’un ramassera ce message et y trouvera un peu de notre essence.
Ainsi, dans la grande tapisserie mouvante de l’existence, nos descendants sont les fils colorés qui continueront à tisser des motifs longtemps après que notre propre teinte se sera estompée. Ils sont la preuve vivante que la vie, dans sa sagesse insondable, a choisi la continuité plutôt que la perfection, l’évolution plutôt que l’achèvement.
Engendrer, c’est finalement accepter de n’être qu’une virgule dans la phrase infinie de l’humanité, tout en espérant secrètement que cette ponctuation modeste changera, ne serait-ce qu’imperceptiblement, le sens de ce qui suit. C’est comprendre que notre plus grande œuvre n’est pas celle que nous créons, mais celle que nous mettons en mouvement, ce perpetuum mobile fait de chair et de rêves qui continuera à vibrer bien après que nous aurons quitté la scène.
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